DUMAILLY

La méthanisation : “zéro déchet, énergie verte, circuit court” ?

Est-ce bien le cas du Perchay ?

une interview de Benjamin Demailly, président du PNR,
et de Patrick Gautier (Aménagement et Patrimoine)

-M. Demailly, comment justifier cette pratique des cultures dites intermédiaires (C.I.V.E.), non
alimentaires, à vocation uniquement énergétique : dans le seul but de fournir une matière
première au méthaniseur ?


- Dans les années 50, rappelez-vous, les cultures n’étaient pas destinées à la seule alimentation
humaine : 1/3 servait à nourrir les bœufs qui tiraient les charrues. Aujourd’hui, ces cultures dites
intermédiaires ont deux buts : couvrir la terre le plus longtemps possible pendant l’hiver pour nourrir
celle-ci, la protéger de l’érosion, éviter autant que possible le labour, effectivement, fournir une des
matières premières au méthaniseur, afin de produire une énergie renouvelable.

 


-Pourquoi existe-t-il deux noms distincts pour évoquer les cultures intermédiaires ?
- “ Intermédiaires”  signifie qu’elles sont implantées dans la rotation, entre deux cultures classiques
dites cultures principales et moissonnées avant leur maturation. Les C.i.p.a.n sont des Cultures
Intermédiaires Pièges à Nitrate, et les C.i.v.e., des Cultures Intermédiaires à Vocation Energétique.
Les C.i.p.a.n., utilisées depuis plusieurs décennies, ont pour objet de protéger les sols et empêcher le
lessivage de la terre par les nitrates (les racines de la culture intermédiaire absorbent ces nitrates
avant qu’ils ne descendent en profondeur dans les nappes). Les C.i.v.e. ont les mêmes atouts que les
C.i.p.a.n., mais s’y ajoute la production d’une énergie renouvelable par la méthanisation. Et le
digestat, issu de la méthanisation de ces C.i.v.e., permet de remplacer une partie des engrais azotés,
très coûteux -encore plus rares désormais car importés d’Ukraine et de Russie- et fabriqués à partir
de gaz fossile.
-Comment justifier une telle consommation d’espace agricole ?
-En réalité, le Vexin est un territoire 4 à 5 fois moins consommateur d’espace agricole en France. L’Ile
de France est la région qui consomme le moins par habitant. Et, au sein de l’Ile de France, le Parc est,
comme les autres Parcs, le plus vertueux. En chiffres, le rapport d’artificialisation est de 1% en
France et de 0,57% dans les PNR. Il nous est demandé de tendre vers ce zéro% mais, en raison
d’autres contraintes, on ne peut y parvenir complètement.
-Lors de la fauche rapide (17 kms/h) des Cives, comment l’agriculteur du Perchay évitera-t-il de
tuer des animaux ? A-t-il les équipements nécessaires ?
- La fauche des Cives n’est pas très différente de la fauche des foins, ou des ensilages de luzerne ou
d’herbe dans les régions d’élevage. C’est un point de vigilance à avoir mais pour lequel il existe des
solutions techniques qui ont fait leurs preuves : récolter du centre du champ vers l’extérieur, installer
des barres d’effarouchement à l’avant des engins de récolte, ainsi que des alertes sonores ou des
détecteurs infrarouge permettant de visualiser d’éventuels animaux.

-Quel pourcentage de la production de gaz à effet de serre représente l’engrais azoté ?
- Il est énorme : aux alentours de 42% des émissions totales de l’agriculture ! Revenons au passé de
l’agriculture française... Dans les années 50 à 70, on assiste à une évolution agricole qui mise
largement sur ces engrais azotés issus des énergies fossiles. La disponibilité en abondance d’engrais
relativement peu chers a favorisé des usages parfois inadaptés (surdosages, apports d’engrais sur
des sols sans végétation), avec pour conséquence un lessivage de l’azote contenu dans les sols et une
pollution de la nappe phréatique. Il a fallu du temps pour en prendre conscience. On assiste depuis
plusieurs années à une modification progressive des pratiques agricoles, avec des apports d’engrais
très précis, au moment où les cultures en ont vraiment besoin (c’est ce qu’on appelle l’agriculture de
précision), et une généralisation des couverts végétaux intermédiaires (entre deux cultures
principales) pour protéger les sols, les nourrir en matière organique, et empêcher la fuite des nitrates
vers les nappes.
-Quels avantages attendez-vous de cette évolution souhaitée des pratiques agricoles ?
-En optant pour des terres couvertes (par des C.i.p.a.n. ou des C.i.v.e.), on réduit l’apport d’azote et
on réactive la vie organique du sol. Et, cerise sur le gâteau, les adventices (qu’on appelle mauvaises
herbes en langage courant) n’arrivant pas à maturation, ne peuvent se reproduire. On économise
donc aussi des herbicides sur les cultures suivantes. Avec des C.i.v.e., on peut remplacer une partie
des engrais de synthèse (dits chimiques, en fait fabriqués à partir de gaz fossile) par un engrais issu
de la digestion de la C.i.v.e. dans le méthaniseur : un retour direct au champ, en circuit court. Il faut
voir le méthaniseur comme une énorme panse de vache : on l’alimente avec des végétaux, et il en
sort une sorte de fumier -le digestat- que l’on peut épandre sur les sols comme le fumier d’autrefois.
L’avantage par rapport à un troupeau de vaches, c’est qu’au lieu que le méthane émis par les
ruminants parte dans l’atmosphère, dans le méthaniseur, il est récupéré et injecté dans le réseau de
distribution de gaz où il va remplacer progressivement le gaz fossile d’importation.
-Comment comptez-vous évacuer nitrate et CO2 ?
- Les nitrates sont un des nutriments des plantes et des cultures lorsqu’ils sont en surface dans les
sols, mais deviennent un polluants s’ils descendent vers les nappes phréatiques. Avec la
méthanisation, on réutilise l’ultime résidu du processus, le digestat. Le but recherché actuellement
par tous les acteurs publics, notamment par le Syndicat des eaux de la vallée de l’Aubette, est de
garder les nitrates dans les couches superficielles du sol grâce, précisément, à la couverture végétale
apportée par les C.i.v.e., prolongée au maximum. On séquestre ainsi l’azote et on stocke également
le carbone qui est apporté par la matière organique (seules les parties aériennes des C.i.v.e. sont
récoltées, les collets et racines restent dans le champ et l’enrichissent en matière organique, ce qui
contribue au stockage du carbone dans le sol). Cette agriculture se base sur une plus grande
présence de couverts végétaux tout au long de l’année, par des apports de matière organique qui
remplace les engrais chimiques et réactive l’activité biologique des sols. C’est ce qu’on appelle l’
“agriculture de conservation”. On devrait même parler d’”agriculture de régénération des sols”. En
agriculture, les cycles pour passer d’un système à un autre sont habituellement de l’ordre de 30 ou 40
ans. Avec la méthanisation il y a une opportunité pour soutenir et accélérer ce nouveau cycle qu’est
l’agriculture de conservation des sols.
-Comment capturer et stocker le carbone ?

- Il y a deux approches vis-à-vis du carbone : -d’une part en augmentant sa séquestration par les
plantes et le sol -Dans ce cas, ce sont les cultures intermédiaires et le retour au champ du digestat (la
fraction solide, fibreuse) qui permettent ce stockage du CO2 dans le sol- d’autre part en capturant le
CO2 contenu dans le gaz en fin de processus de méthanisation. Sur ce second point, des recherches
et même des développements sont en cours pour séparer le CO2 du gaz produit par les méthaniseurs
et permettre, à terme, son stockage. Depuis plus de deux siècles, nos sociétés se sont développées en
relâchant dans l’atmosphère du carbone issu du charbon, du pétrole et du gaz fossilisés depuis des
centaines de millions d’années C’est ce qui provoque les dérèglements climatiques constatés
aujourd’hui.
En complément du stockage dans le sol superficiel par la matière organique, il faudra être en
capacité de remettre dans le sous-sol profond une partie de ce CO2 fossile qui met la planète en péril.
Or ce CO2 est tellement peu dense qu’il est impossible de le capturer directement dans l’atmosphère.
Par contre il est assez tout à fait possible de le capturer en sortie de méthaniseur, c’est ce qui est en
développement actuellement. Dans l’absolu, le CO2 produit par la méthanisation est neutre vis-à-vis
du climat puisqu’il est issu de sa captation par la C.i.v.e. grâce à la photosynthèse. Mais si le
processus de méthanisation permet en plus de soustraire du CO2 accumulé dans l’atmosphère, alors
c’est non seulement le territoire mais toute la planète qui y gagne !
-Qualifié d’énergie verte, le biométhane du Perchay sera-t-il vertueux?
- Un Parc Naturel Régional se doit de défendre les énergies renouvelables et se montrer innovant. Il
nous faut être un acteur exemplaire.Or nous avons pris un grand retard dans ce domaine. Nous avons
travaillé avec tous les acteurs du territoire dans le cadre du Plan Climat Energie territorial (PCET)
adopté en 2015. Sur le sujet de la méthanisation, nous avons également coopéré avec les territoires
voisins comme la Communauté d’Agglomération de Cergy-Pontoise (CACP). Et, ce faisant, nous nous
inscrivons totalement dans la stratégie régionale de développement de la méthanisation à la
condition d’exclure l’utilisation des boues des stations d’épuration qui contiennent en effet des
métaux lourds. Le projet du Perchay n’en utilisera pas. Les autres déchets utilisés sont le fumier équin
(très présent alentour) et tous déchets végétaux (dont la pulpe de betterave,) aliments verts par
excellence.
Le méthaniseur du Perchay permettra d’éviter la production de 3000 tonnes de gaz à effet de serre
(G.E.S.). Or, si l’on veut atteindre l’objectif de limiter à 2 °C le réchauffement climatique d'ici 2050,
chaque citoyen -Il faut en être conscient- doit, dès aujourd’hui, réduire sa production de G.E.S. de
5%/an. Cela représente 65000 tonnes de GES à économiser sur tout le territoire. Il n’y a plus de temps
à perdre...
-Toutes ces allées et venues de camions sur 2 X 80 kms ne sont-elles pas en contradiction avec le
paramètre Circuit court ?
- Circuit court est une notion qui concerne la réduction des intermédiaires. En permettant un cycle
vertueux de matières organiques (Cives, fumiers, pulpes, etc.) simplifié, la méthanisation répond
totalement à cet objectif, surtout si on compare l’engrais organique issu de cette filière aux engrais
issus de l’industrie gazière russe.

S’agissant de la distance, la notion importante est celle du  local qui n’a pas de définition légale mais
doit être perçu comme opposé à mondialisé. Par exemple pour l’alimentation  locavore, il est
communément admis que les productions d’une région et des départements ou régions voisines
correspondent à une alimentation locale. En réalité, aller chercher la pulpe de betterave à 40 ou 80
kms reste vertueux, d’autant que les betteraves qui ont servi à fabriquer ces pulpes viennent en
partie du Vexin français. C’est donc un juste retour de matière organique vers les sols du Vexin
français qui en ont bien besoin. De plus, cela n’augmentera pas le nombre de poids-lourds puisque -
seule différence- ceux-ci seront désormais pleins dans les deux sens, les betteraves partant entières
de chez nous et revenant sous forme de pulpes. N’est-ce pas par ailleurs préférable à l’implantation
d’une usine sucrière dans le Vexin ?.... Une étape reste, il est vrai, à franchir : faire rouler les
tracteurs et autres machines agricoles au biométhane (certains modèles de ce type apparaissent sur
le marché.)
-Est-il vrai que la méthanisation est inscrite dans la charte du PNR depuis 2008 ?
-Oui, afin de viser une indépendance énergétique nationale, la méthanisation a été effectivement
inscrite dans la charte (Cf article 9-2) approuvée en 2008. Un principe confirmé et développé en 2015
par le Plan Climat, enfin adopté par le Comité Syndical à l’unanimité (moins une abstention), qui
prévoyait d’une part d’étudier le potentiel de méthanisation du territoire, et d’autre part
d’accompagner les projets à venir. L’étude du potentiel a été réalisée en 2016, en partenariat avec la
C.A.C.P. ( ) et avec le soutien de la Région et de l’A.D.E.M.E. ( ) . A cette époque, le Parc
avait invité les acteurs du territoire à participer à l’étude et à visiter des installations de
méthanisation en Seine-et-Marne. Devant le résultat estimé : un potentiel théorique de 220
gigawatts/an de méthanisation agricole sur le territoire -correspondant à la consommation d’environ
10000 logements- le Comité Syndical a adopté une délibération afin de soutenir les projets à venir.
-Comment le Parc compte-t-il accompagner ces projets ?
-A condition que les projets n’incluent pas l’usage des boues de stations d’épuration, le PNR
s’engageait, dès cette époque, à accompagner ce type de projets agricoles et industriels , en
contrôlant la nature des intrants et en aidant à l’intégration paysagère. Dans ce domaine, le PNR n’a
pas la compétence d’allouer de subventions d’investissement, celles-ci pouvant être accordées par
différents organismes comme la Région et l’A.D.E.M.E. Par contre il peut intervenir sur des études
comme il l’a déjà fait par le passé (en 2013 puis en 2019), sur des projets de même type. Pour le PNR,
l’accompagnement des projets de méthanisation est donc un sujet déjà ancien, naturel même.
Le P.N.R .est “un organisme de mission”, sans pouvoir juridique. Il n’a pas de pouvoir décisionnaire
quant au nombre d’installations à prévoir par ex .. Le P.N.R. doit veiller à ce que ces projets soient les
plus vertueux possible, Il dépend avant tout du bon vouloir des élus et se tient à disposition pour
accueillir et accompagner la filière sur le territoire.
En ce qui concerne la méthanisation, la décision revient à l’Etat. Le projet du Perchay présente à nos
yeux un minimum de cohérence. La Préfecture est en mesure de faire la comparaison avec d’autres
méthaniseurs et de bien contrôler tous les aspects techniques et sécuritaires du projet grâce à la
procédure I.C.P.E. (Installation Classée Pour l’Environnement) qui est en cours d’instruction. Quatre
agriculteurs du territoire sont les porteurs de projet, aidés de huit autres pour l’apport des C.i.v.e..

Cet ancrage local garantit leur implication sur le long terme, à l’inverse de certains projets portés par
des industriels dans d’autres régions .
-Quelles énergies renouvelables défend le PNR ?
-Le P.N.R. n’est pas favorable à l’éolien. Cette position a été arrêtée en 2012 à l’occasion d’un large
débat qui a impliqué tous les acteurs du territoire et a été validé par une décision du Comité Syndical,
là aussi à la quasi unanimité. La géothermie profonde que vous évoquez implique d’alimenter un
réseau de chaleur urbain, ce qui n’a pas de sens en milieu rural. La méthanisation, à l’inverse,
convient bien à des régions d’élevage ou de culture. Le photovoltaïque est envisageable même si ce
n’est pas la région la plus adaptée. Celle-ci implique de trouver le bon compromis avec la protection
des abords de Monuments Historiques. C’est un sujet sur lequel nous travaillons également en lien
avec l’Etat.
-Quel nombre de méthaniseurs est actuellement envisagé dans le Vexin ?
Pour valoriser l’ensemble du potentiel théorique , il faudrait dix à quinze unités du type Le Perchay ,
sur la base d’une production moyenne de 15 gigawatt-heure/an. C’est un projet moyen, adapté au
territoire, pas un projet XXL. Mais, vu les limites du réseau de gaz existant, le plus probable est que
cinq unités de ce type pourraient être envisagés à court terme.
-Si beaucoup d’arguments actuels contre ce projet de méthaniseur au Perchay peuvent être
effectivement nuancés ou corrigés à la lumière de toutes ces précisions, reste la question
principale : pourquoi ne pas avoir incité les décideurs à choisir une zone industrielle pour
implanter le méthaniseur en question ?
- Pour avoir du sens, un méthaniseur doit être installé au plus près du gisement principal, en
l’occurrence les parcelles où seront cultivées les C.I.V.E., et où sera épandu le digestat. Sinon les
distances à parcourir par les matières feraient perdre une grande partie de l’intérêt de la filière. C’est
pour cela que la législation permet ce type d’installations en zone agricole. De plus, dans le Vexin, il y
a les zones industrielles sont rares et elles sont déjà toutes occupées ou presque.
-Comment a été choisi l'emplacement du méthaniseur du Perchay ? Par quel moyen le PNR peut-il
éviter l’invasion industrielle de nos beaux villages du Vexin ?
- Les installations de méthanisation étant du ressort de l’Etat -à la fois en ce qui concerne le permis
de construire et l’autorisation d’exploitation au titre des I.C.P.E.-, ce sont les services de l’Etat qui ont
conduit ce travail, organisé les échanges avec les communes concernées, et procédé aux principaux
arbitrages dont la localisation. Les services du Parc ont été invités à quelques réunions, ce qui a
permis de comprendre le processus, et de veiller à la meilleure intégration possible du projet. Le
choix d’implantation repose d’abord sur la localisation des exploitations concernées afin de minimiser
les transports. Les porteurs du projet du Perchay ont aussi voulu limiter la traversée des villages de
Us, Santeuil et le Perchay, ce qui impliquait de localiser le méthaniseur en rive droite de la Viosne, là
où se trouve la majorité des terres concernées. Les services de l’Etat en charge des Paysages, Sites et
Monuments Historiques ont ensuite comparé les avantages et inconvénients de différentes parcelles
possibles, sur plusieurs communes, pour conclure que le site le moins impactant était à proximité du
silo qui constitue déjà un élément construit de type agro-industriel. La parcelle retenue, en point bas,
permet de limiter les terrassements et la hauteur perçue des installations.

La qualification d’  industrielle que vous utilisez montre un a priori négatif qui n’est pas justifié à nos
yeux en termes de paysage. Le Vexin français est un paysage agricole, il est le reflet de l’évolution de
cette agriculture au cours des siècles. Les grands silos de Théméricourt-Le Perchay, Génicourt ou
encore de Magny-en-Vexin sont des éléments de paysage qui, certes, peuvent être qualifiés d’agro-
industriels, mais qui sont cohérents avec l’histoire et l’identité du Vexin au cours du XXème siècle. Un
siècle avant sont apparues les sucreries et les distilleries. Ce sont là aussi les témoins d’une histoire
agro-industrielle qui a dû marquer les esprits à l’époque. Pourtant aujourd’hui, leur présence nous
semble naturelle, au point qu’elles sont considérées -à juste titre- comme du patrimoine qu’il faut
préserver et transmettre aux générations futures. L’installation de méthaniseurs s’inscrit donc, selon
nous, dans cette évolution historique et fait pleinement sens dans le paysage vexinois.

Propos recueillis par Marie-Madeleine